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Gavin Bruce et les membres de ce qu’il appelait desormais son equipe s’etaient donne rendez-vous dans l’un des salons du pont 8 et la conversation s’etait engagee sur les mesures a prendre pour faire face a la situation. Un calme etrange regnait a bord du Britannia. Le couvre-feu avait beau ne prendre effet qu’en debut de soiree, la plupart des passagers s’etaient refugies dans leur cabine de peur de croiser la route du meurtrier, epuises par les evenements de cette matinee eprouvante.
Bruce s’agita sur son siege. Leur mission aupres de Cutter avait sans doute echoue, mais il etait rassurant de constater que le commandant avait ete releve de ses fonctions et que les recommandations du petit groupe n’etaient pas restees lettre morte. En fin de compte, leur intervention n’aurait pas ete inutile.
Cutter avait ete depasse par les evenements. Bruce avait croise un certain nombre d’officiers superieurs de la meme eau a l’epoque ou il servait dans la Royal Navy, des commandants qui prenaient leur entetement pour de la force d’ame en confondant reglement et sagesse. La majorite d’entre eux perdait pied en periode de crise. Ce n’etait heureusement pas le cas de cette nouvelle capitaine dont Bruce avait beaucoup apprecie le discours, retransmis sur les haut-parleurs du bord. Une femme decidee, sure de son fait.
— On ne va pas tarder a affronter le pire de la tempete, remarqua Niles Welch en designant l’eau qui ruisselait le long des vitres.
— Je n’aurais pas aime me trouver sur une coquille de noix, reconnut Bruce. C’est fou ce que ces gros paquebots tiennent bien la mer.
— Pas comme le destroyer sur lequel j’etais enseigne pendant la guerre des Malouines, ajouta Quentin Sharp. Tu parles d’un bac a savon.
— Je suis tout de meme etonnee que le capitaine ait decide de forcer l’allure, intervint Emilie Dahlberg.
— On ne peut pas lui donner tort, repliqua Bruce. A sa place, je chercherais aussi a mettre ce monstre a l’abri dans le port le plus proche, meme au prix du confort des passagers. Personnellement, j’avoue pourtant que j’aurais tendance a aller moins vite. Le bateau risque d’en prendre un coup a cette vitesse. A propos, Emilie, je tenais a vous feliciter de la maniere dont vous avez calme cette fille il y a un instant. C’est la quatrieme qui nous fait une crise d’hysterie en moins d’une heure.
Dahlberg croisa les jambes avec beaucoup d’assurance.
— Nous defendons tous la meme cause, Gavin. Je trouve normal de veiller a ce que tout se passe bien en aidant les gens au maximum.
— C’est vrai, mais ca n’ote rien a votre savoir-faire. Je n’ai jamais vu quelqu’un piquer une crise pareille.
— J’ai fait preuve d’un peu d’instinct maternel, c’est tout.
— Vous n’avez jamais eu d’enfant, pourtant.
— C’est vrai, conceda Dahlberg avec un leger sourire, mais je ne manque pas d’imagination.
Des cris et un bruit de course resonnerent dans la coursive toute proche.
— Encore une bande de cretins alcoolises, maugrea Sharp.
La rumeur se precisa et un petit groupe de passagers apparut a l’entree du salon. Sous la conduite d’un personnage qui avait manifestement bu plus que de raison, l’areopage faisait la tournee des cabines en tambourinant sur les portes afin de rameuter le maximum de monde.
— Z’avez entendu ? cria l’homme de tete d’une voix pateuse. Z’etes pas au courant ?
Derriere lui, ses disciples ordonnaient aux gens de leur cabine a grands cris.
— Que se passe-t-il ? demanda sechement Dahlberg.
L’homme soul se planta devant elle en titubant.
— Le bateau va s’ecraser.
Des cris effrayes lui repondirent et l’homme ecarta les bras dans un geste dramatique.
— L’capitaine s’est enfermee sur la passerelle ! Elle veut jeter l’bateau sur les Grands Bancs !
Des questions et des exclamations fuserent de toutes parts.
Bruce se leva.
— Voila une accusation bien grave, monsieur. Surtout a bord d’un navire. J’espere que vous avez les preuves de ce que vous avancez.
L’autre le regarda d’un oeil vague.
— Mais j’ai les preuves, mon petit vieux. Plein de preuves, meme. L’equipage parle plus que d’ca !
— Il a raison ! fit une voix derriere lui. Le capitaine s’est enfermee sur la passerelle, toute seule, et elle fonce sur les Carrion Rocks !
— Quelle ineptie ! siffla Bruce chez qui le nom des Carrion Rocks eveillait pourtant une certaine inquietude.
Comme tout bon marin, il en avait entendu parler lorsqu’il servait dans la Navy. Une longue bande de recifs aceres affleurant a la surface de l’ocean, connue pour son palmares meurtrier.
— C’est vrai ! reprit le type soul en agitant les bras si fort qu’il faillit perdre l’equilibre. Tout le monde parle plus que d’ca !
Bruce comprit tout de suite que la panique etait en train de gagner le navire.
— Mes amis, declara-t-il d’une voix ferme. C’est absolument impossible. Jamais la passerelle d’un paquebot comme celui-ci n’aurait pu etre confiee a une seule personne. Et quand bien meme, il doit y avoir des centaines de moyens de reprendre le controle du navire, depuis la salle des machines ou la passerelle auxiliaire. Je sais de quoi je parle, j’ai moi-meme commande plusieurs navires dans la Royal Navy.
— Ca marche plus comme ca, pauvre pomme ! s’emporta l’ivrogne. Le bateau est completement automatise. Le capitaine s’est mutinee pour en prendre le controle et elle veut tous nous noyer !
Une femme se rua sur Bruce et lui agrippa la veste.
— Vous avez fait partie de la Navy ! Sauvez-nous, faites quelque chose, je vous en supplie !
Bruce se degagea d’une main ferme, puis il leva les bras et son autorite naturelle suffit a calmer en partie le brouhaha ambiant.
— S’il vous plait ! s’ecria-t-il, faisant taire la foule. Mon equipe et moi avons l’intention de nous renseigner au sujet de cette rumeur, poursuivit-il.
— Il y a…
— Silence ! Si les bruits qui courent sont fondes, je vous promets de faire ce qu’il faut. D’ici la, je vous demanderai de patienter tranquillement ici en attendant mes instructions.
— Je crois me souvenir qu’il y a un ecran sur lequel on peut suivre le trajet et la vitesse du bateau sur le pont 10, a l’Admiral’s Club, suggera Dahlberg a voix basse.
— Bonne idee, approuva Bruce. C’est encore le meilleur moyen de savoir ce qui se passe vraiment.
— Et ensuite, qu’est-ce que vous comptez faire ? hurla la femme qui s’etait pendue a sa veste.
Bruce posa sur elle un regard rassurant.
— Je vous l’ai dit. Je vous demande de ne pas bouger d’ici et d’inciter a faire de meme tous ceux qui vous rejoindraient. Restez calmes et arretez de parler de tout ca. Ce n’est pas le moment de provoquer un mouvement de panique sur le bateau. Si jamais la rumeur se confirmait, nous proposerions notre aide aux officiers du bord. En tous les cas, nous vous tiendrons informes des derniers developpements.
Son-discours acheve, il se tourna vers son equipe.
— Vous etes prets ?
Aussitot, le petit groupe s’eloigna d’un pas vif en direction des escaliers. Toute cette histoire etait absurde.
Et pourtant…